Permis de construire et permis modificatif : la régularisation ne s’apprécie pas à projet constant

Le sursis à statuer

 

Lorsqu’un permis de construire est entaché d’illégalité et qu’un recours en annulation est introduit contre ce permis, le juge administratif doit surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant sa légalité sont susceptibles d’être régularisés. Dans ce cas il fixe un délai pour cette régularisation après avoir invité les parties à présenter leurs observations, comme le prévoit l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme : 

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ».

Une fois le délai de régularisation expiré, le juge peut statuer à tout moment. Il doit toutefois tenir compte d’une mesure de régularisation qui serait adressée après expiration de ce délai (CE, 16 février 2022, société MSE la Tombellen°420554).

Le juge administratif ne pouvant toutefois pas faire application de l’article L.600-5-1 du code de l’urbanisme lorsque l’autorisation d’urbanisme a été obtenue par fraude (CE, 11 mars 2024, commune de Saint-Raphaël, n°464257, Lebon T. ; voir notre article à ce sujet). 

Un permis modificatif ne doit pas changer la nature même du projet 

Les possibilités de régularisation sont importantes. 

Un permis de régularisation peut en effet être délivré tant que la nature même du projet est inchangée, y compris si cela implique de revoir son économie générale (CE, avis, Section, 2 octobre 2020, Barrieun°438318, Publié au recueil Lebon).

Ce que rappelle le Conseil d’Etat :

“ (…). 3. Il résulte de ces dispositions qu’un vice entachant le bien-fondé d’une autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé dans les conditions qu’elles prévoient, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n’implique pas d’apporter à ce projet un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même.(…) ”(CE, 11 mars 2024, commune de Nouméan°463413, Lebon T.).

Au cas présent, un permis de construire avait été délivré en vue de l’aménagement d’une piscine et d’un bloc sanitaire destinés à recevoir du public.

Le Tribunal administratif avait sursis à statuer au motif d’une méconnaissance des règles relatives à la superficie des espaces aménagés en espaces plantés en pleine terre. Après délivrance d’un permis modificatif, les juges de première instance ont considéré que ce vice avait été régularisé et rejeté la demande d’annulation du permis de construire ainsi que celle du permis de construire modificatif. 

La Cour administrative d’appel a annulé les deux jugements, le permis de construire initial et le permis modificatif, en se fondant cette fois sur une méconnaissance des règles relatives aux places de stationnement, considérant que ce vice n’était pas susceptible de régularisation (ou d’une annulation partielle).

Pour cela, les juges d’appel s’étaient basés sur les possibilités de régularisation offertes à projet constant, c’est-à-dire en raisonnant sur le projet tel qu’autorisé par le permis initial, et en considérant que : 

  • la possibilité de créer des places supplémentaires n’était pas possible compte-tenu de la taille du terrain et des règles relatives aux espaces plantées prévues par le plan d’urbanisme ;
  • la commune n’apportait pas de précisions sur la possibilité de réaliser des places de stationnement dans l’environnement immédiat de la construction, alors que l’article du document d’urbanisme relatif au stationnement avait évolué et élargissait les possibilités de prévoir des places de stationnement hors de la parcelle. 

C’était oublier que la régularisation offre la faculté de modifier considérablement les caractéristiques d’un projet. 

La régularisation d’un permis de construire s’apprécie en tenant compte des possibilités d’évolution des caractéristiques du projet et non à projet constant 

Le Conseil d’Etat précise que le juge administratif ne doit pas préjuger des possibilités de régularisation, lesquelles permettent au pétitionnaire de faire évoluer les caractéristiques du projet. La limite étant de ne pas en changer la nature même :

“5. (…) Elle a, d’une part, pour statuer ainsi, retenu que la possibilité de créer des places supplémentaires sur le terrain d’assiette du projet n’apparaissait pas envisageable compte tenu de la taille du terrain et de la nécessité d’y prévoir des espaces plantés pour respecter les exigences de l’article UB1-13 du plan d’urbanisme directeur de Nouméa. Toutefois, en fondant ainsi son appréciation sur le seul projet existant, sans tenir compte de la possibilité pour le pétitionnaire de faire évoluer celui-ci et d’en revoir, le cas échéant, l’économie générale sans en changer la nature, la cour a commis une erreur de droit.

6. Prenant en compte, d’autre part, les dispositions de l’article UB1-12 du règlement applicables à la date de son arrêt, qui avaient évolué en élargissant les possibilités de prévoir des places de stationnement hors de la parcelle, dans l’environnement du projet, elle a estimé que la commune de Nouméa n’apportait pas de précision sur la possibilité, contestée en défense, de réaliser des places de stationnement dans l’environnement immédiat de la construction. Toutefois, en exigeant qu’une telle possibilité soit établie devant elle dès ce stade de la procédure, alors qu’une telle analyse suppose de prendre en compte les évolutions susceptibles d’être apportées au projet et la recherche, le cas échéant, d’accords de tiers pour assurer un stationnement dans l’environnement du projet, elle a également commis une erreur de droit. (…)” (CE, 11 mars 2024, commune de Nouméan°463413, Lebon T.).

La régularisation d’un permis de construire entaché d’illégalité n’est donc pas une régularisation à projet constant, mais bien une régularisation tout court.

Ainsi que le relève Laurent DOMINGO, rapporteur public sur cette décision, les possibilités de régularisation doivent ainsi être appréciées en tenant compte, non seulement de la nature du vice, mais aussi de toutes les possibilités permettant de faire évoluer le projet. 

“(…) Le juge doit donc seulement rechercher si le vice est régularisable eu égard à sa nature et  compte tenu des possibilités de faire évoluer le projet et non pas seulement si le vice  entachant le projet qu’il a examiné est régularisable à projet constant.  Autrement dit, la cour ne devait pas raisonner sur la base de cette piscine pour cet usage, mais  en envisageant que la Sci Fly 2018 puisse faire évoluer son projet, et par exemple abandonner  son idée de dispenser des cours de natation. Ce qui, évidemment, changerait tout en terme de  stationnement. (…) “ (conclusions Laurent DOMINGO, rapporteur public sur (CE, 11 mars 2024, commune de Nouméa, n°463413, Lebon T., page 3)

Les possibilités de régularisation sont donc considérables puisque le pétitionnaire peut faire évoluer son projet de manière importante, y compris en bouleverser l’économie générale. La limite étant seulement qu’il n’en change pas la nature même. Les limites à cette régularisation semblent désormais confiner à celles offertes par l’imagination humaine. Exception faite, tout de même, d’un vice qui ne serait pas régularisable quelles que soient les caractéristiques du projet.

Par Axel Bertrand, avocat associé

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