Quelle destination pour les dark stores et les dark kitchens ?

Après que le Conseil d’Etat (CE, 23 mars 2023, Ville de Paris, n°468360) ait jugé que des dark kitchens et dark stores relèvent de la sous-destination « entrepôts », le lendemain, deux textes ont été publiés au JORF, faisant pour l’essentiel relever les dark stores de la sous-destination « entrepôts » et créant une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » pour les dark kitchens.

Contexte

Les dark stores sont des locaux de stockage dédiés à la livraison rapide, le plus souvent par des livreurs à bicyclette, de produits d’épicerie commandés par des clients sur internet.  

Les dark kitchens sont des locaux dans lesquels sont préparés des repas destinés à être livrés rapidement, là aussi par des livreurs à bicyclette le plus souvent, et/ou retirés sur place, suite à une commande internet.

Les points communs entre ces deux activités sont la rapidité du service proposé, la livraison devant être faite dans un temps très réduit, et l’absence d’accueil de la clientèle dans les locaux, sauf, éventuellement, pour effectuer des retraits.

Ces activités de quick commerce se sont considérablement développées depuis la crise sanitaire, souvent dans des locaux exploités initialement par des commerces.

Ils sont également générateurs de nuisances (bruit, odeurs, stationnement anarchique, malpropreté…) pour les riverains.

Dans un premier temps, le Gouvernement avait envisagé de classer les dark stores et dark kitchens parmi les commerces de détail, ce qui aurait facilité leur développement.  

Ce projet avait fait réagir de nombreux élus, notamment à Paris où la Mairie demandait au Gouvernement que ces activités soient considérées comme des entrepôts.

En septembre 2022, le Gouvernement avait finalement annoncé que les dark stores seraient considérés comme des entrepôts et qu’une nouvelle « catégorie » serait créée pour les dark kitchens.

C’est chose faite avec un décret et un arrêté du 22 mars 2023 publiés au JORF du 24 mars 2023.

La veille, le Conseil d’Etat avait jugé que les dark kitchens et dark kitchens relèvent de la sous-destination d’entrepôt.

 

La question du changement de destination non autorisé

Rappelons que les changements de destination sont a minima soumis à déclaration préalable au titre de l’article R.421-17 du code de l’urbanisme.

Les différentes destinations sont prévues par l’article R.151-27 du code de l’urbanisme, au nombre desquelles figurent les constructions à destination de « commerce et activités de service » et les « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire ».

Chaque destination comprend plusieurs sous-destinations prévues par larticle R.151-28 du code de l’urbanisme.

A ce titre, les constructions à destination de « commerce et activités de service » comprennent les activités d’« artisanat et commerce de détail », et les « autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire » comprennent les « entrepôts ».

Le contenu de ces sous-destinations étant précisé par un arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu.

Se posait la question de savoir si les dark kitchens et les dark stores relevaient de la sous-destination « artisanat et commerce de détail » ou « entrepôts », ainsi que le sujet d’un changement de destination non autorisé.

 

La décision du Conseil d’Etat du 23 mars 2023 : les dark stores et les dark kitchens sont des entrepôts

La Ville de Paris avait mis en demeure les sociétés FRICHTI et GORILLAS TECHNOLOGIES FRANCE de restituer sous astreinte plusieurs de leurs locaux dans leur état d’origine, sur le fondement des dispositions l’article L.481-1 du code de l’urbanisme.

Ces dernières, issues de la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, permettent en effet à l’administration de mettre en demeure, le cas échéant sous astreinte, une personne ayant exécuté des travaux en méconnaissance de certaines règles d’urbanisme.

L’objet de cette mise en demeure étant d’obtenir la régularisation de la situation, soit par des travaux, soit par le dépôt d’une demande d’autorisation d’urbanisme.

Les deux sociétés exploitent une activité de livraison rapide de commandes de produits d’épicerie et de repas préparés par des livreurs à bicyclette, dans des locaux commerciaux.

Pour la Ville de Paris, ces sociétés exploitaient une activité relevant de la sous-destination « entrepôt » dans des locaux relevant du « commerce et activités de service ».

Ce qui aurait dû faire l’objet d’un changement de destination.

Le 1° de l’article UG 2.2.2 du PLU de Paris interdisant la transformation de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue en entrepôts, la Ville de Paris avait donc mis en demeure les deux sociétés de régulariser la situation en restituant aux locaux concernés leur état d’origine.

Le dépôt d’une déclaration préalable n’aurait en effet pas permis de régulariser la situation, la transformation de ces locaux commerciaux en entrepôts n’étant pas autorisée par le PLU.

Saisi d’une requête en référé-suspension, le Tribunal administratif de Paris avait suspendu l’exécution des différentes mises en demeure prises par la Ville de Paris (TA Paris, 5 octobre 2022, sociétés Frichti et Gorillas Technologies France, n°2219412/4).

Le Juge des référés avait considéré, d’une part, qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de ces décisions en ce que l’article L.481-1 du code de l’urbanisme ne se réfère qu’aux « travaux ».

Seul un changement de destination était en effet en cause et non des travaux « matériels ».

Et, d’autre part, que l’activité exploitée dans ces locaux était susceptible de présenter un intérêt collectif et ainsi de relever des espaces de logistiques urbaine au sens du règlement du PLU de Paris se rattachant aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif (CINASPIC).

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement (CE, 23 mars 2023, Ville de Parisn°468360).

Il précise d’abord que si l’article L.481-1 du code de l’urbanisme se réfère aux seuls « travaux », il s’applique à « l’ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d’aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensée, à titre dérogatoire, d’une telle formalité et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement ».

Les dispositions de l’article L.481-1 du code de l’urbanisme s’appliquent donc bien aux changements de destination irrégulièrement réalisés, et non uniquement aux travaux matériels.

Le Conseil d’Etat juge ensuite que l’activité exploitée par les sociétés FRICHTI et GORILLAS TECHNOLOGIES France relève de la sous-destination « entrepôt », « même si des points de retrait peuvent y être installés ».

De sorte que leur activité constituait un changement de destination soumis à déclaration préalable qui, au cas présent, ne pouvait être régularisé que par la restitution de l’état d’origine des locaux au regard du PLU de Paris.  

 

Le décret et l’arrêté du 22 mars 2023 : modification de plusieurs sous-destinations et création de la sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne »

Le lendemain de la décision du Conseil d’Etat, deux textes ont été publiés au JORF (du 24 mars 2023) ayant pour objet de préciser la destination des dark stores et dark kitchens.

Le décret du 22 mars 2023 :

Il s’agit du décret n°2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu.

Précisons que ses dispositions n’entrent en vigueur que le 1er juillet 2023 et ne s’appliquent pas aux PLU et aux documents en tenant lieu dont les procédures d’élaboration ou d’évolution ont été engagées avant cette date, sauf si la collectivité décide d’en faire application (article 2 du décret du 22 mars 2023).

L’article 1er du décret modifie l’article R.151-28 du code de l’urbanisme et créé, au sein de la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire » (à laquelle il ajoute le secteur primaire), une nouvelle sous-destination intitulée « cuisine dédiée à la vente en ligne », distincte de celle d’entrepôt.

La destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire » contiendra donc désormais les 5 sous-destinations suivantes : « industrie, entrepôt, bureau, centre de congrès et d’exposition, cuisine dédiée à la vente en ligne ».

L’arrêté du 22 mars 2023 :

Il s’agit de l’arrêté du 22 mars 2023 modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu.

  • Cet arrêté modifie d’abord le contenu de la sous-destination « artisanat et commerce de détail » qui relève des constructions à destination de « commerce et activité de service ».

Cette sous-destination recouvre désormais « les constructions destinées aux activités artisanales de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services, les constructions commerciales avec surface de vente destinées à la présentation ou à l’exposition de biens et de marchandises proposées à la vente au détail à une clientèle, ainsi que les locaux dans lesquels sont exclusivement retirés par les clients les produits stockés commandés par voie télématique ».

  • L’arrêté du 22 mars 2023 modifie ensuite la sous-destination « restauration » qui relève également des constructions à destination de « commerce et activité de service ».

Selon ce texte, la sous-destination « restauration » recouvre « les constructions destinées à la restauration sur place ou à emporter avec accueil d’une clientèle ».

  • L’arrêté du 22 mars 2023 modifie de plus la sous-destination « entrepôt » qui relève des constructions à destination d’« autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire ».

La sous-destination « entrepôt » recouvre désormais « les constructions destinées à la logistique, au stockage ou à l’entreposage des biens sans surface de vente, les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique, ainsi que les locaux hébergeant les centres de données. ».

  • L’arrêté du 22 mars 2023 précise enfin le contenu de la nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne », qui relève également des constructions à destination d’« autres activités des secteurs primaire, secondaire ou tertiaire ».

La sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » recouvre « les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique. Ces commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place ».

 

Impact sur la destination des dark stores et des dark kitchen

Quel est l’impact de ces modifications sur les dark stores et les dark kitchens 

S’agissant des dark stores :

Les dark stores devraient désormais être qualifiés d’entrepôts puisque la sous-destination « entrepôt » comprend désormais « les points permanents de livraison ou de livraison et de retrait d’achats au détail commandés par voie télématique ».

Dès lors qu’un dark store fait de la livraison, ou de la livraison et du retrait, il devrait donc relever de la sous-destination « entrepôt ».

Si toutefois un dark store ne devait faire que du retrait, il serait en revanche susceptible de relever de la sous-destination « artisanat et commerce de détail » puisque cette dernière comprend « les locaux dans lesquels sont exclusivement retirés par les clients les produits stockés commandés par voie télématique ».

Cette hypothèse est toutefois peu probable puisque le retrait n’est pas la fonction première des dark stores, mais celle des drives. Ou alors le dark store tomberait précisément dans ce type d’activité.

Ce qui explique d’ailleurs que l’activité de retrait de produits ne peut relever de la sous-destination « artisanat et commerce de détail » que si elle est exclusive.

A partir du moment où les produits sont également livrés, même s’il y aussi la possibilité de les retirer sur place, l’activité relève donc de la sous-destination « entrepôt ».

S’agissant des dark kitchens :

Les dark kitchens devraient pour leur part relever de la sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne », créée à cette fin, puisque leur activité porte sur la livraison ou le retrait de commandes, ou les deux.

Les restaurants ayant une activité de livraison et/ou de retrait sont-ils alors également susceptibles de relever de cette sous-destination ?

A notre sens, cela est à exclure dès lors que la sous-destination « restauration »  comprend les constructions destinées à la restauration sur place, mais aussi à emporter, lorsqu’il y a accueil d’une clientèle.

L’accueil de la clientèle permettant précisément de faire un distinguo entre ce qui relève des dark kitchens et les restaurants.

L’activité de livraison et/ou de retrait n’étant de plus qu’accessoire pour les restaurants, dans la plupart des cas. Elle ne peut donc avoir que la même sous-destination que l’activité principale de « restauration » (article R.151-29 du code de l’urbanisme).

 

Axel Bertrand, avocat associé