Responsabilité de la commune en cas de refus illégal de permis de construire et préjudices indemnisables

 

Pour rappel, en droit de l’urbanisme, une faute simple suffit à engager la responsabilité de la commune. Ainsi, est-il admis que le refus illégal de permis de construire constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.  

En pareil cas, il appartient au pétitionnaire de démontrer devant le juge administratif que les préjudices subis sont directement en lien avec l’illégalité de la décision prise par la commune.

La décision du Conseil d’État en date du 28 décembre 2023 (req. n°460492) en est une illustration.

En l’espèce, il était question d’un projet de construction de 6 maisons d’habitation sur un terrain divisé en six lots. Ses propriétaires ont déposé 5 permis de construire et le sixième a été déposé par l’acquéreur potentiel de l’un des lots.

Le maire de la commune a refusé de délivrer ces permis.

Les pétitionnaires ont donc saisi le tribunal administratif et obtenu, par deux jugements, l’annulation de ces décisions de refus.

La commune a interjeté appel devant la cour administrative d’appel qui a rejeté les appels formés contre ces jugements. L’arrêt est devenu définitif.

Les propriétaires ont par suite saisi le tribunal administratif afin de solliciter la condamnation de la commune à les indemniser des préjudices résultant des illégalités fautives commises par celle-ci, pour un montant de 162 886 euros.

Le tribunal administratif a fait droit à leur demande à hauteur de 10 000 euros. Les propriétaires ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel qui a rejeté leur requête d’appel tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif.

Le Conseil d’État, statuant au contentieux a prononcé l’admission partielle de leur renvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel.

Par une décision en date du 28 décembre 2023, le Conseil d’État se prononce d’une part, sur l’indemnisation du préjudice liée à l’impossibilité de vendre l’un des lots créé lors de la division parcellaire du terrain.

A cet égard, il indique que :

« 2. L’ouverture du droit à indemnisation est subordonnée au caractère direct et certain des préjudices invoqués. La perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, en principe, ouvrir droit à réparation. Il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières, tels que des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l’état avancé des négociations commerciales avec ces derniers, permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l’espèce, un caractère direct et certain. Il est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu’il pouvait raisonnablement attendre de cette opération. »

Dans le cas présent, le Conseil d’État relève :

« 3. Les requérants faisaient valoir, devant les juges du fond, qu’ils avaient subi un préjudice résultant de l’impossibilité de vendre le lot F en raison du refus opposé illégalement, par la commune de Cussac-Fort-Médoc, à la demande de permis de construire déposée par la candidate à l’acquisition du lot, en produisant, au soutien de leur demande, un «engagement unilatéral d’achat» de cette dernière, daté du 26 janvier 2011, pour un prix fixé à 55000 euros. Pour estimer que cet engagement unilatéral d’achat, dont elle ne contestait pas le caractère ferme et précis, ne démontrait pas le caractère sérieux des intentions de la candidate sur le lot F, la cour s’est fondée sur le fait que celle-ci avait finalement acquis une autre parcelle appartenant à M. et Mme B, alors que cette circonstance était sans incidence sur l’appréciation de ses intentions sur le lot F. Elle a ainsi entaché son arrêt d’erreur de droit. »

La signature d’un « engagement unilatéral d’achat » par un acquéreur potentiel relève des circonstances particulières permettant de faire regarder le préjudice de perte de bénéfices ou de manque à gagner découlant de l’impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d’un refus illégal de permis de construire, comme présentant un caractère direct et certain.

D’autre part, le Conseil d’État se prononce sur l’indemnisation du préjudice lié aux frais d’architecte engagés.

Il considère que :

« 5. M. et Mme B faisaient valoir, devant les juges du fond, qu’ils avaient exposé en pure perte des frais d’architecte en raison du refus illégal opposé par la commune de Cussac-Fort-Médoc à leurs demandes de permis de construire. En se fondant, pour rejeter ces conclusions, sur le fait que ceux-ci étaient dans l’obligation d’exposer ces dépenses puisqu’ils étaient tenus de faire appel à un architecte pour présenter leurs dossiers de permis de construire, alors que ces frais, engagés en vain pour chaque permis de construire illégalement refusé par la commune, constituaient un préjudice indemnisable sous réserve que les requérants justifient de leur paiement, la cour a commis une erreur de droit. »

Le Conseil d’État indique que les frais d’architecte engagés en vain, en raison du refus illégal de la commune à chaque permis de construire, constitue un préjudice indemnisable « sous réserve que les requérants justifient de leur paiement ».

Par Hélène Saunois, avocate associée

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