Une carte d’aléa est susceptible de recours en annulation

Le Conseil d’Etat juge que les cartes d’aléas élaborées par l’Etat sont susceptibles de recours en annulation. Cette possibilité doit être appréciée au cas par cas, en fonction des effets concrets, résultant notamment des conditions de publication de la carte en cause (CE, 13 juillet 2023, n°455803, Lebon T.).

Les propriétaires d’une parcelle se sont vus opposer deux refus. L’un à une demande de renouvellement d’un certificat d’urbanisme, l’autre à une déclaration préalable, en raison du classement de leur parcelle en zone d’aléa fort par une nouvelle carte d’aléa mouvement de terrain.

Cette carte, élaborée par le CEREMA, avait été publiée par la Préfecture sur son site internet précisant qu’elle devait “être prise en compte par la commune et l’État, notamment pour ce qui concerne la planification et les autorisations d’urbanisme ”.

Elle avait également été portée à la connaissance de la commune en question par le Préfet, avec pour indications que cette nouvelle carte devait être prise en compte “dès à présent pour l’application du droit des sols”.

Les intéressés ont demandé au Préfet de modifier la carte d’aléa, ce qu’il a refusé. Ils ont donc demandé l’annulation de ce refus devant le Tribunal administratif. 

Il s’agissait donc de déterminer si une carte d’aléa est susceptible de recours pour excès de pouvoir ou si elle constitue un simple acte préparatoire insusceptible de recours.

Les Préfets de départements sont chargés de porter à connaissance des communes les études techniques nécessaires à l’exercice de leur compétence en matière d’urbanisme (article L.132-2 du code de l’urbanisme). Il s’agit notamment des cartes d’aléa (mouvement de terrain, retrait gonflement des argiles, sismiques…).

Si les plans de prévention des risques naturels (PPRN) ont valeur de servitude d’utilité publique et sont opposables aux autorisations d’urbanisme (articles L.562-4 du code de l’environnement et L.421-6 du code de l’urbanisme), ce n’est toutefois pas le cas des cartes d’aléa qui ne sont pas directement opposables aux autorisations d’urbanisme et servent souvent à juger de l’opportunité d’élaborer ou de réviser un PPRN. 

Les informations de ces cartes sont toutefois susceptibles d’affecter l’instruction des autorisations d’urbanisme, voire d’aboutir à un refus ou à l’élaboration de prescriptions. 

L’administration est en effet dans l’obligation de prendre en compte tous les éléments connus relatifs aux risques naturels, même en l’absence de PPRN ou en phase d’élaboration, et, le cas échéant, d’en tirer toutes les conséquences sur la délivrance de l’autorisation sollicitée, sur le fondement de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme

Une carte d’aléa, bien que non opposable en elle-même aux autorisations d’urbanisme, peut donc avoir un effet majeur sur l’obtention de ces autorisations. 

Les documents de portée générale émanant d’autorités publiques (circulaires, instructions, recommandations, notes…) peuvent cependant faire l’objet d’un recours en annulation s’ils sont susceptibles d’avoir “des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre (CE, Section, 12 juin 2020, GISTIn°418142, Lebon).

Au cas présent, le Conseil d’Etat relève que la carte d’aléa mouvement de terrain était susceptible d’emporter de tels effets sur la situation et les intérêts des propriétaires des parcelles classées en zone d’aléa fort dès lors que :  

  • la carte doit être prise en compte pour la planification (une évolution future du document d’urbanisme communal) ;
  • elle est destinée à orienter de manière significative l’instruction des autorisations d’urbanisme (sur le fondement de l’article R.111-2 du code de l’urbanisme) ;
  • elle est de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernés classés en zone d’aléa fort.

Compte-tenu de ces effets, le Conseil d’Etat en déduit que la carte d’aléa était donc bien susceptible de recours en excès de pouvoir. 

Il convient de ne pas surévaluer la portée de cette décision qui ne signifie pas que toute carte d’aléa serait susceptible de recours en annulation, comme le souligne d’ailleurs clairement le rapporteur public Stéphane HOYNCK dans ses conclusions sur cette décision : 

(…) Il ne s’agit pas d’accepter que tout document portant une appréciation factuelle soit susceptible de recours, mais bien vérifier la portée que ce document a concrètement. (… ) Cette portée concrète s’apprécie notamment en fonction des conditions de publication qui l’accompagnent. (…)”.

Au cas par cas, chaque carte d’aléa et ses effets concrets doivent donc être étudiés, tenant notamment à ses conditions de publication, afin de déterminer si la voie du recours en annulation peut ou non être envisagée.


Par Axel Bertrand, avocat associé