Le Conseil d’Etat juge que le locataire d’un immeuble ayant fait l’objet d’un permis de démolir n’a pas intérêt à agir contre le permis de construire lui faisant suite (CE, 16 octobre 2024, Société Immobilière Abraham Bloch, n°475093, Lebon T.).
L’intérêt à agir contre les autorisations d’urbanisme
Une personne privée n’est recevable à former un recours en annulation contre une autorisation d’urbanisme que si le projet autorisé est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du son bien (article L.600-1-2 du code l’urbanisme).
Cette personne peut agir en sa qualité de propriétaire, de locataire ou de bénéficiaire d’une promesse de vente, de bail ou d’un contrat préliminaire de vente d’immeuble à construire (même article).
L’intérêt à agir est de plus en principe apprécié à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire (article L.600-1-3 du code l’urbanisme).
Au cas présent, le Conseil d’Etat rappelle d’abord une jurisprudence bien établie (en ce sens : CE, 10 juin 2015, n°386121, Lebon).
Pour justifier de son intérêt à agir contre l’autorisation d’urbanisme délivrée, le requérant doit préciser l’atteinte qu’il invoque en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien :
“ (…) 3. Il résulte de ces dispositions qu’il appartient à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci.(…) ” (CE, 16 octobre 2024, Société Immobilière Abraham Bloch, n°475093, Lebon T.).
Le locataire d’un immeuble dont la démolition a été autorisée par un permis de démolir a-t-il intérêt à agir contre le permis de construire qui lui fait suite ?
Le Conseil d’Etat juge que le locataire d’un immeuble dont la démolition a déjà été autorisée par un permis de démolir n’a pas intérêt à agir contre le permis de construire lui faisant suite, ce dernier n’étant pas par lui-même de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien :
“ (…) 4. Pour juger que la société Genedis justifiait d’un intérêt lui donnant qualité pour agir à l’encontre du permis de construire délivré le 10 mai 2019, la cour s’est fondée sur les circonstances qu’elle se prévalait de sa qualité de locataire, en vertu d’un bail commercial en cours à la date à laquelle la demande du permis de construire litigieux avait été affichée en mairie le 3 octobre 2018, de l’immeuble existant, implanté sur le terrain d’assiette du projet et ayant vocation à être démoli pour les besoins de sa réalisation, et que le permis autorisant cette démolition avait été délivré le 4 décembre 2018, postérieurement à la date de cet affichage. En admettant que la qualité de locataire de l’immeuble existant conférait à la société requérante un intérêt suffisant pour demander l’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire litigieux, alors que ce permis, par lui-même, n’était pas de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance par la société du bien occupé, au sens des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce. (…)
“7. Ainsi qu’il a été dit au point 4, la société Genedis, locataire de l’immeuble ayant vocation à être démoli pour permettre la réalisation de la construction autorisée par le permis de construire qu’elle attaque, ne justifie pas, au sens des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation pour excès de pouvoir de ce permis de construire. Par suite, la société Abraham Bloch est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a fait droit à la demande de la société requérante, qui doit être rejetée comme irrecevable. (…) ” (CE, 16 octobre 2024, Société Immobilière Abraham Bloch, n°475093, Lebon T.).
Cette solution n’était pas évidente et peut paraître contestable par certains aspects.
Comme l’avait relevé la Cour administrative d’appel de Lyon, le permis de construire s’inscrit dans un projet d’ensemble qui suppose la démolition préalable de l’immeuble pour réaliser la construction autorisée par le permis de construire.
Le permis de construire n’a donc de sens que parce qu’un permis de démolir a été délivré.
Quand est-il d’ailleurs de l’hypothèse d’un permis de construire valant permis de démolir ?
Le locataire aurait-t-il dans ce cas uniquement intérêt à agir contre le volet démolition de cette autorisation ? (Ce qui ne semble pas être le cas à ce jour).
Comme dans l’espèce en cause, le locataire d’un immeuble dont la démolition a déjà été autorisée par un permis de démolir pourrait en outre avoir intérêt à agir contre le permis de construire délivré par la suite s’il se trouvait encore dans son bien à la date de l’affichage du permis de construire, l’intérêt à agir étant en principe apprécié à cette date.
Ce n’est toutefois pas ce qu’a jugé le Conseil d’Etat.
Conclusion
Même si cette solution peut paraître contestable par certains aspects, le locataire d’un immeuble dont la démolition a déjà été autorisée par un permis de démolir n’a pas intérêt à agir contre le permis de construire qui lui fait suite.