Cass, civ. 3ème, 23 mai 2024, n°22-22.938
La seule occupation de l’ouvrage avant exécution des travaux ne permet pas de présumer une réception tacite et est insuffisante pour caractériser la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage.
Dans une décision du 23 mai 2024 (n°22-22.938), la Cour de cassation est venue rappeler le régime applicable à la réception tacite des travaux.
En l’espèce, une commune a fait édifier un complexe socio-culturel et sportif.
Après réception de l’ouvrage, la commune a dénoncé à l’assureur dommages-ouvrage l’apparition de fissures importantes en façade. Après expertise, des travaux de réparation ont été réalisés.
De nouvelles fissures sont toutefois réapparues. La commune les a donc à nouveau dénoncées à l’assureur dommages-ouvrage « en indiquant que la stabilité de la structure était compromise et que les travaux de reprise avaient été inefficaces ».
Par un arrêt du 12 septembre 2022, la cour d’appel de Toulouse a jugé inapplicable la responsabilité décennale faute de réception.
Se posait dès lors devant la Cour de cassation la question de savoir s’il pouvait être présumée en l’espèce une réception tacite ?
Pour rappel, la réception tacite résulte d’une volonté implicite mais non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir les travaux (Cass. civ. 3ème, 14 décembre 2017, n°16-24.752).
A contrario, si le maître d’ouvrage manifeste sa volonté non-équivoque de ne pas recevoir les travaux, il est fait obstacle à toute réception tacite (Cass. civ. 3ème, 13 juillet 2016, n°15-17.208).
La volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir les travaux est présumée dès lors qu’il prend possession de l’ouvrage et règle son prix au constructeur (Cass. civ. 3ème, 30 janvier 2019, n°18-10.197 & n°18-10.699). Ces critères sont cumulatifs.
En revanche, pris indépendamment, ces critères sont insuffisants pour caractériser une réception tacite (voir pour la prise de possession : Cass. civ. 1ère, 4 octobre 2000, n°97-20.990 ; pour le paiement du prix : Cass. civ. 3ème, 30 septembre 1998, n°96-17.014).
Dans le cas présent, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé et considère que :
« 19. En cas de travaux sur un ouvrage existant, la prise de possession permettant, avec le paiement du prix, de faire présumer la réception, ne peut résulter du seul fait que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux.
20. La cour d’appel a relevé que, selon les préconisations de la société Silex, les travaux de réparation comprenaient un temps de latence entre le gros œuvre et les finitions, destiné à observer le comportement du bâtiment.
21. Elle a constaté que les travaux de finition n’avaient été ni exécutés ni payés, alors qu’ils faisaient partie d’une mission unique dont elle a souverainement retenu qu’elle n’était pas susceptible d’être divisée en tranches.
22. Ayant également relevé que le maître de l’ouvrage occupait déjà les lieux avant l’exécution des travaux, elle a souverainement retenu que ces circonstances, qui ne permettaient pas de présumer une réception tacite, ne caractérisaient pas sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage. »
En définitive, la Cour de cassation relève que les travaux de finition n’ayant été ni exécutés, ni payés, font obstacle à la caractérisation d’une réception tacite. Partant, la seule occupation de l’ouvrage avant exécution des travaux ne permet pas de présumer une réception tacite et est insuffisante pour caractériser la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage.
En l’absence de réception valable, seule la responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs (article 1231-1 du code civil) pourra être engagée (d’une durée de 5 ans à compter de la connaissance du dommage), à l’exclusion des garanties légales (garanties décennale et de parfait achèvement).
Il convient donc d’être particulièrement vigilant au moment de la réception des travaux, et d’autant plus lorsqu’aucune réception expresse n’est intervenue.