Travaux sur existant et responsabilité des constructeurs
Face à l’essor des travaux de rénovation, la responsabilité des constructeurs dans les travaux sur existant suscite un intérêt grandissant.
Au cœur de l’actualité, la question de la responsabilité des constructeurs en matière de désordres affectant un élément dissociable installé sur l’existant a récemment fait l’objet d’un important revirement de jurisprudence.
- De quelle responsabilité du constructeur relèvent désormais ces désordres ?
- Quel est le cadre juridique applicable aux éléments dissociables installés sur l’existant ?
L’occasion de revenir sur l’évolution de la responsabilité des constructeurs en la matière.
La responsabilité décennale, responsabilité initiale des désordres affectant un élément dissociable installé sur existant
Par une décision rendue le 15 juin 2017, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a considéré que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » (Cass. Civ. 3ème, 15 juin 2017, 16-19.640, Publié au bulletin).
En d’autres termes, dès lors qu’un dommage affectant un élément d’équipement dissociable posé sur un existant rend l’ouvrage dans son entier impropre à sa destination, la responsabilité décennale de l’installateur pouvait être recherchée sur le fondement de la garantie décennale.
Cette jurisprudence a été confirmée par une décision ultérieure en date du 14 septembre 2017. (Cass. Civ. 3ème, 14 septembre 2017, 16-17.323, Publié au bulletin).
Nature et désordres des éléments d’équipement dissociables sur existants
Les décisions rendues depuis 2017 permettaient d’illustrer la nature et les désordres des éléments d’équipement installés sur l’existant qui entraient dans le champ d’application de la garantie décennale :
- Installation du pompe à chaleur air-eau dont le dysfonctionnement a rendu l’ouvrage impropre à sa destination ( Civ. 3ème, 15 juin 2017, 16-19.640, Publié au bulletin) ;
- Pose d’un appareil de chauffage à foyer fermé sur une cheminée existante qui a entrainé un incendie ayant détruit intégralement l’habitation ( Civ. 3ème, 14 septembre 2017, 16-17.323, Publié au bulletin) ;
- Pose d’une cheminée qui a entrainé un incendie ayant détruit intégralement l’habitation ( civ.3ème, 26 octobre 2017, n°16-18120) ;
- Pose d’un insert dans une cheminée existante qui a entrainé un incendie ayant détruit intégralement l’habitation ( civ.3ème, 14 décembre 2017, n°16-10820) ;
- Pose d’une pompe à chaleur aérothermique en remplacement de leur chaudière au fioul usagée dont le dysfonctionnement puis la panne définitive a rendu l’ouvrage impropre à sa destination ( civ.3ème, 25 janvier 2018, n°16-10050) ;
- Pose d’un insert de cheminée qui a entrainé un incendie ayant détruit intégralement l’habitation ( civ.3ème, 7 mars 2019, n°18-11741).
Soumission des éléments d’équipement sur existant à l’assurance obligatoire
Par une décision rendue le 26 octobre 2017, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation écartait l’application de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances (selon lequel les obligations d’assurance des constructeurs ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles), lorsque les désordres affectant l’élément d’équipement installé sur existant rendaient l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination (Cass. civ. 3ème, 26 octobre 2017, n°16-18120, Publié au bulletin).
La Cour de cassation consacrait ainsi la soumission des éléments d’équipement sur existant à l’assurance obligatoire.
Ce revirement de jurisprudence poursuivait deux objectifs :
- Un objectif de simplification en ne distinguant plus selon que l’élément d’équipement était d’origine ou seulement adjoint à l’existant, lorsque les dommages l’affectant rendaient l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination ;
- Une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage, réalisant plus fréquemment des travaux de rénovation ou d’amélioration de l’habitat existant.
Limitation du champ d’application de la garantie décennale aux éléments d’équipement destinés à fonctionner
Par une décision rendue le 13 juillet 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que les désordres affectant un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination ne relevaient de la responsabilité décennale des constructeurs que lorsqu’ils trouvaient « leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du code civil, c’est-à-dire un élément destiné à fonctionner » (Cass. civ. 3ème, 13 juillet 2022, n°19-20.231, Publié au bulletin)
Revirement de jurisprudence : les désordres affectant les éléments d’équipement sur existant relèvent désormais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire
Par une décision rendue le 21 mars 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence.
Elle indique d’une part que les objectifs poursuivis par le revirement de jurisprudence initié par la décision du 26 octobre 2017 n’ont pas été atteints.
Elle constate d’autre part que « les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale ne souscrivent pas plus qu’auparavant à l’assurance obligatoire des constructeurs ».
Elle relève ainsi que :
« 17. La jurisprudence initiée en 2017 ne s’est donc pas traduite par une protection accrue des maîtres de l’ouvrage ou une meilleure indemnisation que celle dont ils pouvaient déjà bénéficier au titre d’autres garanties d’assurance.
18. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.» (Cass. civ. 3ème, 21 mars 2024, 22-18.694, Publié au bulletin)
Conclusion
Les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage et relèvent dorénavant de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
Les constructeurs sont dorénavant incités à prêter une attention particulière à leur responsabilité individuelle et contractuelle.