Le Conseil d’Etat juge que le droit de préemption urbain peut être exercé pour assurer l’hébergement des ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire en tant qu’il s’inscrit dans une politique locale de l’habitat constituant une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du code de l’urbanisme (CE, 13 octobre 2023, commune de Cannes, n°468694, Lebon T.)
Le droit de préemption urbain (DPU) ne peut être exercé que pour la réalisation des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme (article L.210-1 alinéa 1 du code de l’urbanisme).
Ces actions ou opérations ont notamment pour objets de mettre en oeuvre “un projet urbain, une politique locale de l’habitat, d’organiser la mutation, le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d’enseignement supérieur, de lutter contre l’insalubrité et l’habitat indigne ou dangereux, de permettre le recyclage foncier ou le renouvellement urbain” etc. (article L.300-1 alinéa 1 du code de l’urbanisme).
Le DPU peut donc être exercé pour mettre en œuvre une politique locale de l’habitat (par exemple : CE, 2 mars 2011, commune de Bretignolles-sur-mer, n°315880, Lebon T.).
Pour exercer le DPU, l’administration doit donc :
- d’une part, justifier d’un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme à la date d’exercice du DPU, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ;
- d’autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption (CE, 7 mars 2008, commune de Meung-sur-Loire, n°288371, Lebon).
La mise en œuvre du DPU doit de plus répondre à un intérêt général suffisant (CE, 30 décembre 2014, communauté urbaine de Strasbourg, n°366149).
Au cas présent, la commune de Cannes avait exercé le DPU sur plusieurs lots en vue d’assurer l’hébergement d’ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire.
L’acquéreur évincé avait saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Nice d’une demande de référé suspension, lequel avait suspendu l’exécution de la décision de préemption sur la base des moyens tirés de ce que le motif retenu pour l’exercice du DPU ne correspondrait pas à une action ou opération répondant aux objets définis à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme, et de l’absence de justification par la commune d’un projet d’action ou d’aménagement répondant à ces objets (TA Nice, 20 octobre 2022, n°2204672).
Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement.
Il retient d’abord que l’hébergement des ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire peut être regardé comme s’inscrivant dans une politique locale de l’habitat et comme constituant une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du code de l’urbanisme :
“4. En premier lieu, pour l’application de ces dispositions, l’hébergement de personnes déplacées en provenance d’Ukraine et bénéficiaires de la protection temporaire instituée, compte tenu du constat d’afflux massif de ces personnes opéré par la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 visée ci-dessus, en application de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, peut être regardé comme s’inscrivant dans une politique locale de l’habitat et comme constituant une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme. Par suite, en retenant comme propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce que le motif de la préemption, destinée à permettre à la commune de disposer de locaux pour l’hébergement des personnes déplacées en provenance d’Ukraine, ne constituait pas une action ou une opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.” (CE, 13 octobre 2023, commune de Cannes, n°468694, Lebon T.).
Il juge ensuite que la commune de Cannes paraissait au cas présent justifier d’un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement en ce qu’elle avait déjà engagé une démarche d’ensemble visant à assurer leur hébergement :
“5. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif qu’à la date de la décision en litige, la commune de Cannes avait, avec le centre communal d’action sociale, engagé une démarche d’ensemble visant à l’hébergement de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, se traduisant en particulier par l’accompagnement de sept cent quatre-vingt-cinq personnes pour permettre leur hébergement dans le secteur privé, l’hébergement de quatre-vingt-douze personnes dans des locaux relevant du patrimoine immobilier de la commune, la transformation de la maison des associations en centre et foyer d’accueil ou encore la préemption d’un immeuble situé 6, rue Mirmont, pour l’accueil de ces personnes. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance de dénaturation en estimant propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption litigieuse le moyen tiré de ce que la commune de Cannes ne justifiait pas, à la date de cette décision, de la réalité d’un projet.” (CE, 13 octobre 2023, commune de Cannes, n°468694, Lebon T.).
Sous réserve de justifier d’un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement et de faire apparaitre la nature de ce projet dans la décision de préemption, l’hébergement des ukrainiens bénéficiaires de la protection temporaire peut donc justifier l’exercice du DPU.
Par Axel Bertrand, avocat associé