Exercice et motivation du droit de préemption commercial

Créé par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « loi Dutreil » (article 58 de loi n°2005-882 du 2 août 2005), le droit de préemption « commercial » est un outil assez peu connu des acteurs publics.

Il s’agit pourtant d’un outil intéressant qui permet aux communes confrontées à la difficulté de maintenir un commerce de proximité diversifié, en centre-ville, de préserver le dynamisme et la diversité de l’offre commerciale.

Conditions d’exercice du droit de préemption commercial

Codifié aux articles L.214-1 et suivants et R.214-1 et suivants du code de l’urbanisme, ce droit ne peut être exercé que dans les périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité préalablement délimités et institués par délibération du conseil municipal.

A l’intérieur de ce périmètre, sont soumises au droit de préemption commercial les aliénations à titre onéreux portant sur :

  • des fonds artisanaux, fonds de commerce et baux commerciaux ;
  • des terrains portant ou destinés à porter des commerces, dans un délai de cinq ans à compter de leur aliénation, dès lors que ces commerces sont des magasins de vente au détail ou des centres commerciaux ayant une surface de vente comprise entre 300 et 1 000 m2.

Le but exclusif de ce droit est de rétrocéder le bien à une entreprise sélectionnée par la collectivité en vue d’exploiter une activité permettant de préserver la diversité et le maintien d’une offre commerciale de proximité.

Une fois préempté, la commune doit donc rétrocéder le fonds artisanal, le fonds de commerce, le bail commercial ou le terrain à une entreprise immatriculée en tant qu’entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat au RCS ou au RNE “en vue d’une exploitation destinée à préserver la diversité et à promouvoir le développement de l’activité commerciale et artisanale dans le périmètre concerné” (article L.214-2 du code de l’urbanisme).

Les modalités précises d’institution et d’exercice de ce droit sont strictement encadrées (voir notre article à ce sujet).

Motivation par un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement

L’article L.210-1 du code de l’urbanisme, indistinctement applicable aux droits de préemption institués par le code de l’urbanisme, prévoit que ceux-ci sont exercés “en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L.300-1” et que “toute décision de préemption doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé.”.

S’agissant du droit de préemption urbain, le Conseil d’Etat juge constamment qu’il ne peut être exercé qu’à deux conditions cumulatives (CE, 7 mars 2008, commune de Meung-sur-Loiren°288371, Lebon) :

  • justifier d’un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme à la date à laquelle il est exercé, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ;
  • et faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

Cette exigence s’applique t-elle aux décisions de préemption commerciale ?

Nous avions conclu en ce sens dès lors que l’article L.210-1 du code de l’urbanisme concerne tous les droits de préemption (voir notre article à ce sujet).

Le Conseil d’Etat adopte précisément cette position et étend sa jurisprudence au droit de préemption commercial :

(…) 5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les collectivités titulaires du droit de préemption mentionné au point 3 peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant. (…) ” (CE, 15 décembre 2023, n°470167, Société NM Market, Lebon T.).

Toute décision portant exercice du droit de préemption commercial doit donc :

  • justifier d’un réel projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme à la date à laquelle il est exercé, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ;
  • faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

S’agissant de l’objet mentionné à l’article L.300-1 du code de l’urbanisme, pour le droit de préemption commercial, a priori, il s’agit essentiellement de la réalisation d’une action ayant pour objet d’organiser le maintien, l’extension ou l’accueil des activités économiques.

Quant à la réalité du projet, ainsi que le souligne Thomas JANICOT (rapporteur public sur CE, 15 décembre 2023, n°470167, Société NM Market, Lebon T.) : “il n’est pas attendu que les caractéristiques du projet soient précisément définies. Il est seulement attendu que sa réalité soit établie, par exemple par la production d’études préalables de faisabilité, une précédente proposition d’acquisition amiable ou par des précédents attestant qu’il s’insère dans une politique cohérente rendant sa réalisation quasi-certaine (…) La décision de préemption ne peut en revanche renvoyer à un projet vague ou dont la réalisation apparaît peu vraisemblable (…)”.

Les collectivités qui exercent le droit de préemption commercial doivent donc impérativement veiller à bien motiver leur décision de préemption en faisant état d’un réel projet, sans quoi leur décision risque l’annulation.

Par Axel Bertrand, avocat associé