Le délai raisonnable de la jurisprudence CZABAJ ne s’applique pas devant les juridictions judiciaires

En l’espèce, une commune a notifié à une société trois titres exécutoires au titre des exercices 2009 à 2011 pour le paiement de la taxe locale sur la publicité (TLPE) instituée par la loi n°2008-776 du 4 août 2008. Ces titres ne mentionnaient pas les voies de recours pour les contester.  

La société s’est acquittée des sommes réclamées avant de solliciter le remboursement de certaines d’elles en raison de la transmission par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions du CGCT relatives à la TLPE.

Le Conseil constitutionnel a par suite déclaré contraires ces dispositions à la Constitution et « a dit que cette déclaration d’inconstitutionnalité, prenant effet à compter de la publication de cette décision, ne pouvait être invoquée qu’à l’encontre des impositions contestées avant cette date ».

La société a donc assigné la commune devant le tribunal de grande instance en annulation des trois titres exécutoires pris sur le fondement des articles censurés par la décision du Conseil constitutionnel, et en remboursement des sommes versées.

La cour d’appel écarte la demande d’annulation comme tardive et retient que plus d’un an s’est écoulé entre le jour où la société a eu connaissance des titres exécutoires et le jour où elle a agi en annulation de ces titres.

La société se pourvoit en cassation.

Au visa de l’article L.1617-5, 2°, du CGCT (dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n°2017-1775 du 28 décembre 2017), l’article R.421-5 du CJA et l’article 680 du CPC, la Cour de cassation juge que :

« le délai de deux mois ouvert par l’article L. 1617-5, 2°, du code général des collectivités territoriales au débiteur d’une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé du titre exécutoire constatant ladite créance n’est opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que la voie de recours, dans la notification de ce titre exécutoire (2e Civ., 8 janvier 2015, pourvoi n° 13-27.678, Bull. 2015, II, n° 4).

11. En conséquence, en l’absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu à l’article L. 1617-5, 2° du code général des collectivités territoriales. »

Se posait la question de savoir si la jurisprudence CZABAJ du Conseil d’Etat (CE, 13 juillet 2016, req. n°387763) devait s’appliquer devant les juridictions judiciaires notamment en matière de délai de recours contre un titre de recettes.

Pour rappel, la jurisprudence CZABAJ précise que si les mesures de publicité appropriées (indication voies et délais de recours) ne sont pas faites, alors le délai de recours contentieux de deux mois ne s’applique pas. Un recours peut être exercé dans un délai raisonnable fixé, sauf circonstances particulières, à « un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance ». (CE, 13 juillet 2016, req. n°387763)

Le Conseil d’Etat a par ailleurs déjà jugé que le délai raisonnable CZABAJ s’applique en matière de contestation de titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, req. n°401386).

Dans le cas présent, la Cour de cassation refuse d’appliquer la jurisprudence CZABAJ et maintient sa jurisprudence.

Elle indique que :

« 16. Si, pour répondre, notamment, aux impératifs de clarté et de prévisibilité du droit, une convergence jurisprudentielle entre les deux ordres de juridiction est recherchée lorsqu’il est statué sur des questions en partage, celle-ci peut ne pas aboutir en présence de principes et règles juridiques différents applicables respectivement dans ces deux ordres. Tel est le cas en l’espèce. »

Plusieurs raisons sont mises en avant par la Cour de cassation :

D’une part, la Cour de cassation souligne la spécificité du contexte dans lequel a été pris la jurisprudence CZABAJ.

Pour rappel, cette décision était motivée par le principe de sécurité juridique qui « fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ».

« 17. En premier lieu, les motifs ayant justifié l’application d’une telle règle devant les juridictions administratives, qui permet de prévenir les situations dans lesquelles, faute de notification régulière, une décision administrative pourrait être contestée indéfiniment, sont propres aux règles du contentieux administratif.

18. En effet, les juridictions judiciaires n’exercent pas de contrôle de légalité par la voie du recours pour excès de pouvoir. »

Or, elle précise que les différentes actions relatives aux titres exécutoires qui peuvent être engagées par leur destinataire sont déjà encadrées par des règles de prescription extinctive qui « suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique » :

« 19. Quant aux contestations d’un titre exécutoire, formées devant ces juridictions, généralement à l’occasion de l’action en recouvrement, elles interviennent nécessairement dans le délai de prescription de cette action, tel le délai de quatre ans s’agissant des créances d’une collectivité territoriale.

20. Par ailleurs, les actions tendant à la décharge d’une imposition et à la restitution de l’indu fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle supérieure se prescrivent par deux ans, en application de l’article L. 190 du livre des procédures fiscales.

21. Enfin, les mêmes actions, lorsqu’elles sont fondées sur une déclaration de non-conformité à la Constitution du texte servant de fondement à l’imposition, sont ouvertes dans les conditions fixées par la décision du Conseil constitutionnel.

22. Ainsi, le risque de contestation d’actes ou de décisions sans limite de durée ne se présente pas dans les mêmes termes devant les juridictions judiciaires devant lesquelles les règles de la prescription extinctive suffisent en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique. »

D’autre part, la Cour de cassation considère qu’appliquer la jurisprudence CZABAJ devant les juridictions judiciaires pourrait avoir pour conséquence de remettre en cause le principe général issu de l’article 680 du CPC et porter atteinte à « l’équilibre des droits des parties dans le procès ».

 « 23. En second lieu, la règle issue de l’article 680 du code de procédure civile constitue un principe général qui s’applique devant les juridictions judiciaires, quelle que soit la nature de cette décision ou de cet acte et celle des voies et délais de recours.

24. Transposer la solution dégagée par le Conseil d’État pourrait conduire à étendre cette règle à tous les délais de recours, ce qui remettrait en cause l’application de ce principe général et pourrait porter atteinte à l’équilibre des droits des parties dans le procès civil.»

Elle rappelle, à cet égard, qu’il résulte de l’article 680 du CPC que « l’acte de notification d’un jugement à une partie doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer de manière très apparente les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé. À défaut, le délai de recours ne court pas». 

La Cour de cassation souligne enfin la nécessité de maintenir sa jurisprudence :

« 25. Le maintien de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui se justifie par les principes et règles applicables devant le juge civil, permet un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues et le droit du débiteur d’accéder au juge

La Cour de cassation conclut :

« qu’en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours, le débiteur n’est pas tenu de saisir le juge civil dans le délai défini par la décision du Conseil d’État du 13 juillet 2016 précitée. »

Le délai raisonnable d’un an de la jurisprudence CZABAJ ne s’applique par conséquent pas devant les juridictions judiciaires.

En outre, en l’absence de notification mentionnant de manière exacte les voies et délais de recours, le débiteur d’une créance assise et liquidée peut saisir la juridiction judiciaire pour contester le titre exécutoire, sans être tenu par le délai de deux mois prévu par l’article L.1617-5 1° CGCT (version en vigueur depuis le 1er janvier 2022).  

Par Hélène SAUNOIS, avocate associée