Droit public général

Interruption du délai raisonnable de recours (Czabaj) par un recours gracieux et nouveau délai raisonnable

Le délai raisonnable de recours (Czabaj), qui s’applique lorsque le requérant n’a pas été informé des voies et délais de recours, peut être interrompu par l’introduction d’un recours gracieux. Ce dernier fait alors courir un nouveau délai de recours qui, selon les cas, est un délai de droit commun de deux mois ou un nouveau délai raisonnable (CE, avis, 12 juillet 2023, n°474865, Lebon). 

Le tribunal administratif de Lyon avait saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur le fondement de l’article L.113-1 du code de justice administrative (CJA) qui permet à un tribunal administratif ou une cour administrative d’appel de demander l’avis du Conseil d’Etat sur une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. 

Sauf exception, le juge administratif ne peut être saisi que dans un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée (article R.421-1 du CJA). 

Ce délai n’est toutefois opposable qu’à la condition d’avoir été mentionné, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision (article R.421-5 du CJA).

A défaut, l’intéressé peut exercer un recours juridictionnel dans un délai raisonnable, lequel est en principe d’un an à compter de la date à laquelle la décision expresse lui a été notifiée, ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance (CE, assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n°387763, Lebon).

L’article L.411-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) prévoit que toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours administratif. 

L’introduction d’un recours administratif dans le délai contentieux a pour effet d’interrompre ce délai et fait donc courir un nouveau délai de recours (par exemple :  CE, 10 juillet 1964, Centre médico-pédagogique de Beaulieu, n°60408).

 

1/ Se posait d’abord la question de savoir si le délai raisonnable (délai de la décision “Czabaj”) peut être prorogé par la formation d’un recours administratif, facultatif ou obligatoire. 

Le Conseil d’Etat répond par l’affirmative :  

(…) 4. La présentation, dans le délai imparti pour introduire un recours contentieux contre une décision administrative, d’un recours administratif, gracieux ou hiérarchique, contre cette décision a pour effet d’interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai découlant de la règle énoncée au point 3 (…)” (CE, avis, 12 juillet 2023, n°474865, Lebon).

Le délai raisonnable de recours peut donc être interrompu par un recours gracieux introduit dans ce délai. 

 

2/ Se posait ensuite la question de savoir quel est le délai de recours contentieux sur la décision née suite au recours gracieux. S’agit-il d’un délai de droit commun de deux mois ou d’un nouveau délai raisonnable ?

Il faut distinguer selon que naisse une décision implicite ou une décision explicite de rejet. 

S’il s’agit d’une décision explicite de rejet, celle-ci doit informer le requérant des voies et délais de recours, sans quoi un nouveau délai raisonnable (délai de la décision “Czabaj”) s’applique. 

S’il s’agit d’une décision implicite de rejet, la nature du délai de recours varie selon que le requérant a ou non reçu un accusé de réception.

L’administration doit en effet délivrer un accusé de réception comportant certaines mentions à tout requérant qui introduit un recours gracieux (articles L.112-3 et R.112-5 du CRPA)

A défaut, le requérant dispose d’un délai raisonnable pour saisir le juge (CE, 18 mars 2019, n°417270, Lebon).

Le Conseil d’Etat applique le même raisonnement à l’hypothèse d’un recours gracieux introduit dans le “délai Czabaj” :

(…) Si la notification de la décision de rejet du recours administratif n’est pas elle-même assortie d’une information sur les voies et délais de recours, l’intéressé dispose de nouveau, à compter de cette notification, du délai découlant de la règle énoncée au point 3 pour saisir le juge. En cas de silence gardé par l’administration sur le recours administratif, le délai de recours contentieux de droit commun contre la décision administrative contestée recommence à courir dès la naissance d’une décision implicite de rejet du recours administratif lorsque l’autorité administrative a accusé réception de ce dernier recours et que l’accusé de réception comporte les indications prévues à l’article R. 112-5 du code des relations entre le public et l’administration. A défaut, l’intéressé dispose, pour introduire son recours contentieux contre la décision administrative qu’il conteste, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision implicite de rejet de son recours administratif, du délai raisonnable découlant de la règle énoncée au point 3. (…)” (CE, avis, 12 juillet 2023, n°474865, Lebon).

S’il s’agit d’une décision implicite de rejet, le délai de recours est donc de deux mois si l’administration a délivré un accusé de réception comportant les mentions requises.

A défaut, il s’agit d’un nouveau délai raisonnable. Dans cette hypothèse, un recours peut donc être en pratique être introduit dans un délai pouvant excéder deux ans. 

 

Conclusion : pour sécuriser leurs décisions, les administrations doivent impérativement veiller à indiquer systématiquement les délais et voies de recours corrects dans leurs décisions et délivrer un accusé de réception comportant les indications requises lorsqu’un recours gracieux est introduit.

ASTEN AVOCATS accompagne les collectivités et sécurise l’action publique. 
Par Axel Bertrand, avocat associé

L’administration peut exécuter une décision de justice par des “mesures au moins équivalentes”

Le juge de l’exécution ne peut remettre en cause les mesures décidées par le juge du fond pour assurer l’exécution de sa décision.  Le Conseil d’Etat précise que la décision peut toutefois être exécutée par “des mesures au moins équivalentes” à celles qui ont été enjointes (CE, 27 mars 2023, n°452354).

 

Comment l’exécution des décisions du juge administratif est-elle assurée ? 

Pour assurer l’exécution de ses décisions, le juge administratif peut assortir ses décisions d’injonction et d’astreinte (articles L.911-3 et L.911-4 du CJA).

Exemple : un refus de permis de construire est annulé : le juge enjoint à la collectivité de délivrer le permis dans un certain délai, le cas échéant sous astreinte

Si la décision est exécutée dans le délai prévu, il n’y aura pas lieu de liquider l’astreinte (CE, 16 juin 1997, n°116809).

En revanche, si la décision n’est pas exécutée ou l’est tardivement, il convient de saisir à nouveau le juge administratif (le juge de l’exécution) pour obtenir la liquidation de l’astreinte (article L.911-7 du CJA).

La liquidation pourra présenter un caractère provisoire ou définitif. 

Il convient de bien distinguer l’astreinte provisoire de la liquidation provisoire. 

L’astreinte présente en principe un caractère provisoire (article L.911-6 CJA), ce qui signifie que son montant peut toujours être modulé, voire supprimé, par le juge de l’exécution (article L.911-7 du CJA). Le juge tient notamment compte des diligences accomplies par l’administration pour exécuter la décision pour décider de moduler ou non l’astreinte (CE, 3 décembre. 2015, n°394333).

Si l’astreinte est définitive, elle n’a plus qu’à être liquidée, sans aucune modulation, sauf si l’inexécution de la décision est due à un cas fortuit ou de force majeure (article L.911-7 du CJA).

La liquidation peut ensuite être provisoire, c’est-à-dire faite pour le temps écoulé dans lequel la décision n’a pas été exécutée, alors que la décision du juge administratif n’est toujours pas exécutée au jour de la liquidation. 

La liquidation est définitive lorsque l’exécution a eu lieu et qu’il n’y a plus lieu à liquidation provisoire. 

Il peut donc y avoir plusieurs liquidations provisoires jusqu’à ce que la décision soit exécutée. Interviendra alors la liquidation définitive. 

La liquidation provisoire ne peut toutefois pas être remise en cause lors de la liquidation définitive (CE, 23 octobre 2009, Bodier, n°310379).

Quand une décision du juge administratif est-elle exécutée ? 

Par une décision du 27 mars 2023 (n°452354), le Conseil d’Etat précise les conditions dans lesquelles une décision du juge administratif peut être considérée comme étant ou non exécutée. 

Elle l’est en principe lorsque l’administration a pris les mesures ordonnées par le juge du fond. 

Le Conseil d’Etat rappelle à ce sujet que le juge de l’exécution ne peut “remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l’exécution est demandée” (en ce sens : CE, 3 mai 2004, Magnat, n°250730).

Les mesures ordonnées au titre de l’injonction ne peuvent donc être remises en cause. 

Le Conseil d’Etat précise toutefois que la décision peut être exécutée par “des mesures au moins équivalentes” à celles qui ont été enjointes : 

“3. Si le juge de l’exécution saisi, sur le fondement des dispositions de l’article L. 911-7 du code de justice administrative, aux fins de liquidation d’une astreinte précédemment prononcée peut la modérer ou la supprimer, même en cas d’inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l’administration en vue de procéder à l’exécution de la chose jugée, il n’a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l’exécution est demandée. Toutefois, si l’administration justifie avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu’il lui a été enjoint de prendre, le juge de l’exécution peut, compte tenu des diligences ainsi accomplies, constater que l’ordonnance du juge des référés a été exécutée.”.

L’administration dispose donc d’une marge de manœuvre dans le choix des diligences à accomplir pour assurer l’exécution des décisions du juge administratif. 

En pratique, cette solution ne vaut toutefois pas lorsque l’administration se trouve en situation de compétence liée, par exemple s’il lui est enjoint de délivrer une autorisation bien précise. 

 

Axel Bertrand, avocat associé